samedi 16 mars 2019

LA VENIN


Tome 1 : Déluge de feu
De Laurent Astier

Colorado, juillet 1900.

Emily débarque à Silver Creek, une petite ville minière, pour se marier. Mais son futur époux vient de mourir. Fille d’une prostituée - le récit est construit avec des flash-backs qui racontent sa jeunesse - Emily, sans argent, se résout à pratiquer le métier de sa mère pour survivre. Quelques semaines plus tard, elle tue le candidat en campagne pour le poste de sénateur et s’enfuit. Dès lors, elle sera poursuivie par l’agence Pinkerton, et par la Cavalerie du fort le plus proche. Cet élément déclencheur et le jeu des flash-backs éclaireront peu à peu les motivations de l’héroïne.

C’est la vengeance d’Emily qui constitue le cœur du récit. Mais Laurent Astier aborde également la question indienne à travers l’occupation par l’armée des territoires ancestraux de ces populations autochtones comme pour faire un trait d’union entre tous les opprimés de la conquête de l’Ouest.




Ce western, sorti dans la foulée d’Undertaker, de L’homme qui n’aimait pas les armes à feu, ou de Stern, tire largement son épingle du jeu. Laurent Astier ne manque pas de rendre hommage à ses illustres prédécesseurs : Jean Giraud en tête, avec un hommage appuyé à Blueberry, ou encore les grands films du genre, La prisonnière du désert de John Ford… Résolument féministe, le personnage d’Emily a la trempe d’une Chihuahua Pearl (Jean Giraud encore).

Bien documentée, la bande dessinée reprend les grandes figures du genre : le saloon et ses entraineuses, la poursuite de l’héroïne, la traversée des territoires indiens, l’armée américaine et son sergent brutal et abruti… Quelques figures historiques croisent également le chemin d’Emily : la photographe Annette Rose Hume, les agents Pinkerton…


Le découpage se distingue par son aspect cinématographique. La composition est différente d’une planche à l’autre. Parfois, il s’agit d’une suite de gros plans ou de plans rapprochés, mais il y a aussi de grandes cases où les paysages prennent toute leur place. On imagine alors sans mal les plans séquences dans un format en cinémascope.


Ce premier opus, d’une série de cinq albums annoncés, peut sembler un peu touffu à la première lecture. Il pâtit de la mise en place d’une histoire complexe et dont on pressent les multiples rebondissements.

L’Ouest sauvage, territoire hostile par définition, est donc à nouveau le théâtre d’un grand règlement de comptes à travers le destin tragique d’Emily, comme on le comprend à la fin de ce premier album. A sa façon, cette héroïne participe à l’émancipation des femmes américaines de ce tout jeune XXème siècle en combattant l’archaïsme de certains de ses contemporains et leurs pulsions les plus meurtrières.



Fiche technique :
Scénario, Dessin et Couleur : Laurent Astier
66 pages / Edition : Rue de Sèvres

jeudi 14 mars 2019

TROPIQUES DE LA VIOLENCE


de Gaël Henry
d’après le roman de Nathacha Appanah


Moïse est un bébé Kwassa Sanitaire. Il est arrivé des Comores avec sa mère sur un petit bateau. Il a un œil marron, l’autre vert. Pour sa maman qui n’a que seize ans, c’est l’enfant du malheur. Elle le confie à Marie, infirmière à l’hôpital de Mayotte et disparaît. Marie est blanche. Elle adopte Moïse. La vie s’écoule sans incidents pendant plusieurs années. Mais à l’adolescence, Moïse, qui reproche à Marie de lui avoir volé sa vie, se met à sécher le collège et fait allégeance au chef dʼun gang de jeunes, violents et drogués, qui tiennent Kaweni, le quartier de la misère…
Portrait d’une jeunesse abandonnée par la République Française, le destin de Moïse est dépeint avec un mélange de réalisme et de poésie qui est l’une des marques de Gaël Henry. Moïse est un garçon qui n’a plus de repères. La violence va devenir son mode de vie car à Mayotte, c’est le seul moyen de survivre dans ce quartier en marge de la société.

Le récit est construit en quatre parties qui marquent chacune l’évolution de Moïse. L’auteur porte un soin particulier aux personnages secondaires même si le dessin, comme esquissé à gros traits, nous plonge définitivement dans la tête de Moïse. C’est donc un voyage intérieur qu’on emprunte peu à peu avec le jeune comorien. Cette plongée dans la psyché d’un gamin des rues est assez éprouvante, mais le talent de l’auteur est de ne jamais verser dans le misérabilisme ou l’apitoiement.

Adapté du roman de Nathacha Appanah, Tropiques de la Violence est fascinant et puissant. On ne ressort pas indemne de cette lecture.


Fiche technique
Scénario et dessin : Gaël Henry
Couleur : Bastien Quignon
160 pages / Editions Sarbacane

mardi 12 mars 2019

PARIS 2119


de Zep et Dominique Bertail

« Aujourd’hui plus personne ne se déplace en métro… Depuis cette saloperie de Transcore. »


Ambiance rétrofuturiste pour ce dernier opus signé Zep et Bertail. Drones et hologrammes ont envahi l’espace public. Entre quartiers périphériques, où la pluie tombe sans arrêt, comme en écho au Blade Runner de Ridley Scott, et, un Paris transformé en musée et baigné dans une lumière artificielle, la plupart des gens se déplacent désormais en Transcore, du nom de la marque des cabines de téléportation qu’on trouve à chaque coin de rue.

Tristan Keys, jeune homme en marge de ses contemporains, rejette cette technologie. Il fait partie des rares individus qui continuent à prendre le métro, et à se déplacer en marchant. Une série d’évènements inquiétants va éveiller la curiosité de Tristan. Et si la téléportation pour tous n’était pas le progrès annoncé ?


Le scénario réglé au millimètre nous entraine dans l’enquête menée par Tristan. Si la multitude de détails constituent un univers très cohérent, c’est aussi parce qu’on y retrouve des éléments de notre présent. Ainsi l’architecture du XIXème et du XXème est customisée à la mode du XXIIème. Et on n’a aucun mal à se projeter dans ce futur, même si au final, Zep et Bertail en dressent un portrait peu enviable.

L’intrigue amoureuse est aussi partie prenante du récit, Kloé, la compagne de Tristan, étant une adepte des voyages par téléportation.


Le scénario est solidement bâti et le dessin d’une grande élégance n’est pas sans rappeler dans le traitement de la couleur l’œuvre du grand Bilal. Les auteurs nous entrainent ainsi dans une histoire où le cynisme et l’appât du gain sont poussés à leur paroxysme. La fin de l’ouvrage, aussi belle que surprenante, est une réponse pleine de grâce à la déshumanisation ambiante.


Fiche technique
Scénario : Zep
Dessin : Dominique Bertail
Couleurs : Dominique Bertail et Gaétan Georges
80 pages / Edition Rue de Sèvres